Entrevue avec Dre Louise Caouette-Laberge, une femme d’exception.
Par Andréanne Cartier, Candidate M.D.-M.Sc. promotion 2021.
Dre Louise Caouette-Laberge est chirurgienne plastique pédiatrique à l’Hôpital de Sainte-Justine. Elle est reconnue comme étant une cheffe de file dans son domaine tant au niveau national qu’international, puisque sa réputation dépasse largement nos frontières. Très impliquée dans sa profession, professeure au département de chirurgie de l’Université de Montréal depuis 1982, elle a été nommée professeur émérite en 2019. Dre Caouette-Laberge se démarque également par son implication au niveau humanitaire. Cofondatrice de Mission Sourires d’Afrique, c’est avec ardeur qu’elle poursuit le combat de sa vie, celui de redonner le sourire aux enfants présentant des fentes labiopalatines. Dre Caouette-Laberge n’a jamais fait les choses à moitié et c’est ce qui explique sa vie bien remplie aujourd’hui qu’elle partage avec son mari, ses quatre enfants et huit petits-enfants.
Le 24 février dernier, j’ai eu l’immense plaisir de m’entretenir avec Dre Caouette-Laberge à l’Université de Montréal. Nous avons fait un tour d’horizon de son parcours remarquable dans le monde de la chirurgie plastique. Les études en médecine se féminisent énormément, mais les femmes restent peu nombreuses à choisir une spécialité chirurgicale. Le but de cet article est d’inspirer les futures générations de femmes qui aspirent à une carrière chirurgicale.
Quelles expériences de vie vous ont motivée à vous engager dans de longues études médicales ?
Je n’ai pas toujours rêvé d’une carrière dans le domaine de la santé, bien au contraire je me suis initialement dirigée en sciences humaines. J’ai étudié les rudiments du grec et du latin pour devenir archéologue. À ce moment, je me voyais parcourir le monde à la recherche de réponses, parce que la connaissance commence par ce nous ne savons pas! Mon engouement pour la science, je l’ai développé en cinquième secondaire durant mon cours de physique. J’ai choisi par la suite la médecine parce que c’était selon moi, la plus humaine des sciences. Je voulais avoir une carrière en science avec un contact humain au premier plan.
À quel moment de votre formation en médecine avez-vous su que vous vouliez poursuivre votre formation en chirurgie ?
Après mon cours de médecine, j’ai débuté un internat multidisciplinaire à McGill en vue d’une carrière humanitaire. Le déclic s’est fait au contact d’un plasticien qui enseignait les principes de prélèvement et de réimplantation des tissus. L’idée de pouvoir prendre un orteil et d’en faire un pouce me fascinait. J’ai eu un coup de foudre pour la microchirurgie et c’est pour pratiquer cette discipline que j’ai décidé de poursuivre mon parcours en chirurgie, puis en chirurgie plastique à l’Université de Montréal. Lorsque j’ai terminé ma surspécialisation en microchirurgie, les besoins étaient grands dans la plupart des hôpitaux du Québec puisque la spécialité était en plein essor. J’ai opté pour un poste à Sainte-Justine en plastie pédiatrique pour avoir une pratique diversifiée et parce que j’aimais cette clientèle. À ce moment, je n’avais pas de formation proprement dite en chirurgie pédiatrique, mais durant ma première année, j’ai beaucoup travaillé avec les chirurgiens du milieu qui pratiquaient la réparation de fentes labiopalatines et c’est devenu un aspect important de ma pratique au fil des années!
La chirurgie est une spécialité qui tarde à se féminiser. Est-ce que vous pensez que le fait d’être une femme vous a influencé dans votre choix de carrière ?
Non pas du tout, j’ai fait mon choix en fonction de ce que j’avais envie de faire. Je ne crois pas que les qualités nécessaires à la profession de chirurgien sont spécifiques à un sexe. La formation d’un chirurgien est exigeante, mais le parcours est le même pour tout le monde. Je n’ai jamais eu l’impression que mon travail était plus dur pour moi que pour un homme. J’ai toujours été amusée par les patients qui me disaient << une femme chirurgienne plastique, vous devez être méticuleuse>>. Je leur répondais à tout coup << vous savez je connais des hommes qui sont plus méticuleux que moi!>>.
Jamais je n’ai envisagé sacrifier mon rêve de fonder une famille pour ma carrière en chirurgie. J’ai été la première femme à intégrer le programme de résidence de chirurgie plastique de l’Université de Montréal et c’était particulier parce que j’étais enceinte de mon premier enfant. Mes autres grossesses ont été durant mon fellowship de microchirugie, puis en début de pratique. J’ai été chanceuse parce que j’avais des grossesses faciles. Je me faisais un devoir de ne jamais manquer de garde. Mes grossesses ne m’ont jamais ralenties au travail, au contraire c’était une source de motivation et une grande fierté. Je n’aurais jamais accepté que mes collègues récupèrent du travail supplémentaire à cause cette décision qui était la mienne.
Durant votre parcours avez-vous déjà été victime de discrimination ou d’intimidation parce que vous étiez une femme?
Non, je n’ai jamais perçu de discrimination à mon égard en lien avec le fait d’être une femme. En chirurgie, j’étais la seule résidente du groupe et l’esprit de compétition était très tangible. Ce n’était pas rare que des résidents se tiraillent pour aller assister les chirurgiens au bloc opératoire. Au début, certains essayaient de me tenir loin du bloc, mais ils ont rapidement abandonné l’idée car je n’hésitais pas à les écarter pour prendre la place qui me revenait. Il ne s’agissait pas de considérations sexistes, car on observait ces comportements entre les autres résidents également. Dans n’importe quelle équipe, que ce soit des hommes ou des femmes, il y aura toujours des gens qui voudront prendre avantage des autres. Je ne suis pas du genre à me laisser marcher sur les pieds et ça ne faisait pas partie de ma personnalité de me plaindre. Auparavant, on comptait très peu de femme en chirurgie, mais c’était une question de choix et non une pratique discriminatoire. Je pense que les femmes étaient plus réticentes à faire carrière en chirurgie étant donné les difficultés potentielles à fonder une famille.
Quel a été le meilleur conseil qu’on vous a donné ?
Ma mère était ce que j’appelle une personne << bienveillante>>. Elle voyait toujours la bonne intention derrière toutes mes actions et ce, même dans les situations où je me plantais complètement. Ma mère a fait de moi une personne optimiste, ce qui m’a permis d’avoir un regard très positif sur tout ce que j’entreprends. Mon mantra : tout va bien jusqu’à preuve du contraire. Quand ça va moins bien, on s’organise autrement et on fonce. Je suis aussi sportive, j’ai pratiqué longtemps le sport de compétition en voile. Le sport m’a permis de forger mon caractère et aussi d’acquérir une éthique de travail et un désir de performance que j’ai transposé dans plusieurs sphères de ma vie. L’attitude positive de ma mère et le sport m’ont permis de me bâtir une confiance qui m’a grandement servi pour ma carrière de chirurgienne. Je dois dire que j’ai aussi eu beaucoup de chance, car j’ai toujours été bien entourée.
La conciliation travail-vie-famille est un enjeu important pour plusieurs femmes en médecine, particulièrement en chirurgie. Comment avez-vous réussi à maintenir une vie balancée?
Mon conjoint est chirurgien pédiatrique, donc j’ai eu la chance d’avoir quelqu’un qui comprenait les particularités de cette carrière exigeante. Ça n’a pas toujours été facile d’arrimer deux carrières de chirurgiens. Avec beaucoup d’organisation, nous y sommes parvenus. Lorsque nous faisions notre planification, ce n’était pas << la mère >> qui s’occupait des rendez-vous des enfants, c’était << qui peut s’en occuper>>. Nous avons toujours maintenu une collaboration qui était viable pour tout le monde et c’était important pour nous de s’organiser pour qu’aucune des deux carrières en souffre. À deux, les gardes revenaient vite et nous avons fait le choix d’avoir de l’aide à la maison dès la résidence. Quand je rentrais chez moi après le travail, la maison était propre et le repas était prêt. J’étais dont disponible pour passer du bon temps avec mes enfants toute la soirée. Les fins de semaine, je n’étais pas dans les centres d’achats pour faire les courses, j’étais sur les pentes de ski avec mes enfants ! L’organisation ce n’est pas tout, il fallait aussi être flexible et être capable de s’adapter aux imprévus de la vie car il est impossible de tout prévoir. Lors des fins de semaine de garde nous devions nous débrouiller avec les enfants. Je me souviens d’une fois où l’anesthésiste a bercé mon bébé pendant que j’étais en train d’opérer. J’aime mes enfants et ma vie de famille, mais je tiens aussi à mon travail.
Si vous pouviez recommencer votre parcours à zéro, que feriez-vous différemment?
J’ai toujours pris soin d’orienter ma carrière en fonction de mes intérêts, donc je suis à l’aise de vous dire aujourd’hui que je ne changerais rien à mon parcours. J’aime la vie et j’aime ma vie! Cette façon de voir le monde m’a été transmise par mon grand-père qui m’a répété jusqu’à ses 97 ans << je ne regrette rien, je n’ai pas fait que des bons coups, mais j’ai fait de mon mieux >>. Je souhaite vieillir comme mon grand-père. Ne jamais avoir de regret.
Selon vous, qu’est-ce qu’une femme « forte », une femme leader?
C’est une femme qui est bien dans sa peau et qui ne se laisse pas arrêter ou ralentir par des hésitations. C’est une femme qui fonce et qui regarde vers l’avant. Une bonne leader, c’est quelqu’un qui a un esprit analytique assez aiguisé pour saisir et pour mobiliser les forces de chacun. C’est aussi quelqu’un qui se soucie du bonheur des autres, parce qu’il faut mettre chaque personne là où elle est heureuse avec ce qu’elle fait. Si un membre de l’équipe fait quelque chose qu’il n’aime pas, il ne le fera pas bien et c’est l’équipe qui va écoper. Les bons leaders n’ont pas besoin de convaincre les autres de les suivre; tout le monde les suit volontiers, car ils leur font faire des choses avec lesquels ils sont heureux!
Pour terminer, quels conseils désirez-vous donner aux futures générations de femmes qui aspirent à une carrière en chirurgie ?
Je dis toujours à mes étudiants d’arriver en stage avec de l’enthousiasme et un esprit ouvert. Trouvez ce que vous aimez et faites-le sans hésitation! En faisant ce qui vous passionne, vous n’aurez plus jamais à vous soucier de rechercher du travail, tout le monde va vouloir vous avoir, car vous serez bon, bien formé et que vous aurez du plaisir à le faire. Si vous devez faire un effort pour aller travailler tous les jours parce que c’est difficile, c’est probablement parce que vous n’êtes pas dans votre niche. Nos métiers sont exigeants, vous allez travailler fort donc si ce que vous faites ne vous rend pas heureux quotidiennement, faites simplement autre chose.
Dans la vie, tout est une question de choix et de priorité. Vous devez prendre le temps de vous arrêter pour réfléchir à ce qui vous plaît, à ce qui vous plaît moins ou vous déplait carrément. Partez avec la prémisse que vous ne pourrez pas tout faire, personne ne peut tout faire! Concentrez-vous sur ce qui vous fait plaisir et apprenez à déléguer pour le reste. Vous aurez la chance d’avoir un métier qui vous permet d’avoir de l’aide, saisissez cette chance!