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Dre Diane Francoeur

C’était à l’autre bout du monde, au Rwanda, que je rencontrais pour la première fois Dre Diane Francoeur, via une conversation Skype. Il était 22h, j’allais parler à la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec dans quelques secondes et je me sentais toute petite dans mes souliers. Cette timidité a disparu dès les premières secondes de l’entrevue quand je me suis sentie tout de suite interpellée par la fougue et le pétillement dans les paroles de Dre Francoeur. Je me suis reconnue dans sa vision de la médecine immédiatement. Dans ses propos et dans son expérience, j’y ai même trouvé une sorte de réconfort et de courage. Voir une femme aussi fonceuse et déterminée que Dre Francoeur te dire « si t’as besoin d’un break, prends un break » j’ai trouvé ça révolutionnaire. On reçoit toutes sortes de conseils quand on parle de leadership et de développement professionnel, pourtant on se fait trop rarement dire que c’est plus que correct de prendre une pause pour développer les sphères personnelles et familiales de nos vies. Qu’en fait, c’est ce qui nous permettra d’être une meilleure médecin, une meilleure leader. J’espère que vous serez toutes aussi requinquées après avoir découvert cette femme d’exception.

Bonjour Dre Francoeur, pour commencer, pourriez-vous nous parler de votre parcours en médecine?

Je suis allée en médecine par défi et je m’étais dit que j’irai avec la première université qui m’accepterait et qui a était l’Université Laval. Moi, je suis née en Gaspésie et je viens d’un milieu très modeste, mais je pense qu’au Québec, tout est possible, mais personne n’a dit que ça serait facile. Après ma résidence en gynéco-obstétrique, j’ai continué mon fellowship à l’Université du Kentucky qui offrait un des meilleurs programmes dans ma surspécialité  en gynécologie pédiatrique. C’est avec mon association professionnelle que j’ai commencé à être très impliquée. J’y ai occupé plusieurs postes notamment aux finances et au développement professionnel. C’est ce qui m’a mené de fil en aiguille à la présidence de la Fédération des médecins  spécialistes du Québec (FMSQ). À ce moment-là, j’ai décidé d’entamer mon MBA Health Care Management à Harvard. C’est un programme unique en son genre, réservé aux médecins, qui combine autant la santé publique que le monde des affaires. Être exposée à différentes formations médicales m’a permis de réaliser qu’au Québec on est vraiment choyés. Nos facultés en médecine livrent des résultats que d’autres facultés envient beaucoup.

Quand vous dites qu’«au Québec tout est possible si on y met l’effort, mais personne n’a dit que ce serait facile », selon vous, quel est le plus grand défi que devront relever les prochaines générations en médecine?

J’ai beaucoup d’inquiétude pour les jeunes qui ont une anxiété de performance qui est beaucoup plus grande qu’à mon époque. Les étudiantes qu’on sélectionne regorgent de mille et un talents, mais avec la compétition incessante qu’on leur impose, j’ai peur qu’on perde leur potentiel et qu’on nuise à la beauté de la profession. Avec le rythme qu’on impose aux étudiantes et aux professionnelles, on s’en va vers du 35% de burnout une fois sur le marché du travail. Ce constat est affolant et cela va forcément avoir des répercussions sur le bien-être des professionnels en santé.

Comment relever ce défi de bien-être selon vous?

 Je trouve que quand on parle de bien-être, souvent les gens se méprennent et vous imaginent à passer votre temps à faire du yoga ; alors que vous passez vos soirées, et parfois vos nuits à étudier.

Pour moi le bien-être ça commence par l’équilibre dans sa vie personnelle,  l’amour de la profession et le travail en équipe. À force de toujours être en compétition, on oublie qu’on n’a pas à tout faire toute seule. Apprendre à travailler en équipe c’est essentiel, autant pour les patientes que pour le système et aussi pour notre bien-être. Ensuite, moi, ma plus grande chance c’est d’être tombée follement amoureuse de mon domaine. La beauté de la profession, c’est la relation avec nos patientes et ce privilège de recevoir leur confiance instantanément. Il faut s’arrêter par moments et réaliser la chance qu’on a de contempler des miracles au quotidien, d’être stimulées par des conversations incroyables avec nos patientes. Quand on aime ce qu’on fait, le temps nous glisse entre les doigts au point que si on me donnait la chance de refaire tout ce que j’ai fait demain, je me lancerai à nouveau sans hésiter.

Aussi, c’est important de décrocher de la médecine et de s’exposer à de nouvelles réalités. Aller voir comment ça se passe ailleurs : chez les autres professionnels de la santé, dans d’autres domaines en sciences sociales et ailleurs dans le monde. Il faut s’exposer au maximum de réalités différentes pas seulement pour prendre une pause, mais aussi afin d’être capable de mieux comprendre les contextes de nos patientes, pour ultimement mieux les servir.

La conciliation travail-vie-famille est un enjeu important pour plusieurs femmes en médecine, notamment celles qui désirent fonder une famille sans manquer d’opportunités de développement professionnel. Comment avez-vous réussi à atteindre cette balance délicate?

En médecine, plusieurs femmes vont se dire « ah! J’aurais aimé faire ça! », mais doivent faire face aux contraintes de la conciliation travail-famille pour ensuite se lancer plus tard. Honnêtement, il n’y a pas de modèle unique. Il faut se donner le temps de trouver sa propre balance. C’est sûr qu’avec la grossesse, on va ralentir sur la gestion de notre carrière. Prenez cette pause si vous en avez besoin pour bâtir votre famille, il ne faut pas le voir comme du temps perdu. Au contraire, développer son leadership se fait également grâce au support de ses pairs et de leur encouragement. Même qu’être une mère c’est développer des habiletés de gestion qui nous préparent d’une manière différente à assumer de futurs rôles de leadership.

C’est quoi la recette magique pour concilier le travail et la famille ? Laisser les choses aller. Ne vous privez pas d’une pause pour votre famille, puis au moment opportun, ne vous privez pas de vous impliquer et de saisir les opportunités qui s’offrent à vous. Croyez-moi, les opportunités pleuvent et il faut les saisir. C’est important d’être actif, de faire prévaloir sa voix : c’est comme ça qu’on peut changer les choses et améliorer notre profession.

Moi, j’ai eu 3 enfants, deux de mes enfants font du ski acrobatique et quand ils étaient jeunes, je devais gérer un horaire de ski acrobatique provincial, un autre au niveau national et deux horaires de gynéco-obstétrique, le mien et celui de mon mari. Vous n’avez pas besoin de tout faire toute seule. N’ayez pas peur de demander de l’aide. Le travail d’équipe c’est tellement plus enrichissant et facilitant, et cela s’applique aussi aux sphères personnelles de nos vies.

Pensez-vous que le mentorat est un aspect important pour le développement professionnel d’une jeune femme en médecine? Qui ont été vos mentors?

Une des choses les plus importantes que vous pouvez faire pour votre carrière, c’est de vous trouver des mentors. Et j’insiste sur «des», pas un, mais des mentors. Au début de ma carrière, mes mentors c’étaient des hommes parce que dans ce temps-là, il n’y avait pas encore de femmes en position d’autorité autour de moi. Ils m’encourageaient régulièrement à essayer de nouvelles choses, à saisir de nouvelles opportunités : «vas-y, ça va être le fun, tu vas avoir de nouveaux défis !» Petit à petit, tu finis par faire grandir ton réseau et tu accèdes à de plus en plus d’opportunités différentes. Je parle encore régulièrement à mes mentors, quand je suis face à des questionnements, discuter avec eux me permet d’aller plus loin dans ma réflexion.

Pour moi, le mentorat, c’est important. C’est pour ça que j’essaie d’être moi-même une mentore pour quelques résidentes. J’essaye toujours de les encourager à tenter de nouvelles expériences, quand une opportunité s’offre à elles, je leur dis : « Foncez et réfléchissez après ! »

Est-ce qu’il y a eu des moments où cela a été difficile pour vous de se faire entendre? Que faites-vous lorsque vous sentez que votre voix n’est pas entendue?

C’est très souvent difficile de se faire entendre, surtout si on est une femme qui travaille dans les hautes instances. Quand j’ai commencé, j’étais entourée d’hommes. Même qu’une des instances où je siégeais avait la fâcheuse habitude d’organiser les visioconférences pile sur l’heure du souper. Finalement, j’ai laissé mes enfants crier pendant que je gardais la conférence sur haut parleur. Je le faisais exprès juste pour bien leur faire comprendre que ma réalité est différente de la leur, et que quand tu es mère, l’heure du souper ce n’est pas un moment propice pour les réunions.

Pour se faire entendre, il faut être préparée et avoir des alliés. Quand tu es préparée, tu peux voir les défis et les enjeux qui risquent de se présenter à toi. Il faut continuer à se préparer aux diverses éventualités qui peuvent se produire. Une fois que tu as analysé tous les scénarios possibles, c’est le temps d’aller chercher des alliés et de leur expliquer pourquoi ils devraient appuyer ta proposition plus qu’une autre. Cette capacité, on la développe aussi avec l’expérience.

Avez-vous déjà ressenti le syndrome de l’imposteur? 

 Ah, ça, toujours ! Surtout les femmes ! Et si on ne l’a pas, on essaye de nous le faire sentir. Dans une conférence sur le plafond de verre, j’avais tendance à dire que les femmes s’imposent aussi un manteau de verre, parce que dans certaines sphères, on a l’impression que nous ne sommes jamais les bienvenues. En faisant quelques recherches, j’ai même appris qu’il y a des différences biologiques et hormonales entre la femme et l’homme quant à la gestion du syndrome de l’imposteur. Quand on n’est pas au courant de cette différence, certaines personnes malicieuses peuvent tirer profit de notre syndrome de l’imposteur pour leurs propres intérêts.

Comment s’en débarrasser?

Selon moi, pour se débarrasser du syndrome de l’imposteur, il faut avoir confiance en soi et il faut s’armer du maximum de connaissances. L’information, c’est le pouvoir. Je me rappelle d’une rencontre avec une personne importante du monde de la santé où je m’étais dit que j’allais réussir à avoir le dessus durant la réunion avec des informations plus à jour que les siennes. Et c’est là qu’avoir des mentors est crucial. Cela te permet de chercher et dénicher les informations dont tu as besoin, en plus de t’aider à pousser ta réflexion plus loin en te basant sur leurs expériences.

Quels conseils donneriez-vous à la nouvelle génération de femmes en médecine ?

Commencez par vous impliquer un peu et bâtissez votre carrière au fur et à mesure. J’étais plus observatrice au début, puis une fois qu’il y a eu des ouvertures, je n’ai pas hésité à m’engager. Si je pouvais donner des conseils, je vous dirais :

  1. Si tu entreprends quelque chose, c’est parce que ça te tente vraiment. Tu ne dois rien à quiconque d’autre que toi même, alors choisis ton implication en fonction de ce qui te plait.
  2. Tu n’es pas obligée de tout faire et tu n’es pas obligée de le faire maintenant. Si tu as besoin d’une pause, prends la.
  3. Quand tu es prête à t’impliquer : Fonce, fonce sans hésiter. Les opportunités pleuvent et moi, je dis souvent à mes mentorées : « fais-le, tu y penseras ensuite!»

Une des principales compétences qu’on peut développer pour sa vie et sa carrière, c’est la résilience. Dans mon domaine, perdre un bébé ou une maman c’est extrêmement difficile. Mais il faut savoir s’asseoir en toute honnêteté avec les familles et les supporter à travers cette dure épreuve. La résilience ça se développe avec l’expérience, le développement professionnel continu, mais aussi avec la gestion d’un bon équilibre de vie-travail. Il y a des moments où avoir ses proches avec soi, c’est ce qui nous aide à nous relever. Je crois qu’avoir un bon équilibre de vie c’est la clé du succès. Quand j’engage des gens, j’aime savoir que leur famille, leurs amis et leur travail ont chacun une place dans leur vie. Les personnes qui m’impressionnent le plus sont celles qui réussissent à maintenir une balance entre ces sphères.

Pour finir, si les personnes qui lisent cette entrevue ont à retenir ne serait-ce qu’une chose, laquelle serait-elle?

 Vous avez la chance d’avoir choisi la plus belle profession au monde. J’y crois vraiment. Je fais encore de la pratique et j’aménage mon horaire pour rester en contact avec d’autres professionnels en santé et mes patientes. Sachez que vous avez une chance inouïe au Québec d’être aussi bien formées. Soyez fières. Soyez passionnées. Ayez la bougeotte, allez voir ce qui se fait ailleurs. Et surtout, foncez!